Prefazione di Wim Blockmans (Université de Leyde): Les liaisons dangereuses entre la haute finance et le monde politique appartiennent aux thèmes les plus fascinants de l'histoire. Depuis le XIIIe siècle, les rois et princes occidentaux ont systématiquement fait appel aux emprunts pour raccommoder leurs budgets déficitaires. De préférence, ils s'adressaient à des marchands étrangers qui dépendaient de leur protection. Dans le cas de l'impossibilité de rembourser les sommes reçues, les souverains pouvaient toujours se débarrasser des étrangers et s'adresser à leurs concurrents. Les marchands florentins eurent cette expérience fâcheuse avec les rois Edouard Ier et II d'Angleterre: elle menait directement aux premières faillites en cascade des grandes compagnies entre 1302 et 1326. La conséquence n'était pas le refus des marchands de procurer encore des emprunts aux mauvais payeurs, mais la concentration de leurs capitaux en des organisations de plus en plus grandes. Les rois ne ressentaient pour ainsi dire pas de limites aux possibilités d'extension de leurs moyens financiers. De 1465 à 1559, la rivalité des maisons de Valois et de Bourgogne - Habsbourg a mené à une expansion quasi-permanente des budgets de leurs états. La croissance fulgurante des frais militaires en fut la cause principale. Les effectifs des armées doublaient ou triplaient, l'artillerie et la construction de forteresses entraînaient des dépenses incontrôlées. De plus en plus, le sort des peuples dépendait du crédit mobilisé par les dynasties. Charles Quint battait François Ier plus souvent sur ce front que sur les champs de bataille, commençant par les 850.000 florins du Rhin fournis pour son élection impériale par les Fugger, Welser, Spinola et autres grandes compagnies de marchands-banquiers. Toutefois, les antagonistes laissaient à leurs fils des états écrasés sous la dette publique. La présente étude nous offre des informations extrêmement intéressantes sur les méthodes appliquées par la couronne française pour reconvertir ses dettes à la fin de sa lutte séculaire contre les Habsbourg. En 1555, Henri II se trouvant dans l'impossibilité de payer les intérêts sur sa dette à court terme, fut contraint à un accord avec ses créanciers en leur offrant des créances à plus long terme. Cette opération n'était pas la toute première en son genre en Europe, mais elle eut un éclat formidable par l'importance de la dette consolidée ainsi. Elle est connue sous le nom du `Grand Parti' comme elle fut perçue à l'origine comme une change extraordinaire pour les investisseurs. Angela Orlandi a su trouver et exploiter à fond des sources d'archives d'une assez grande rareté, à savoir les grands livres du marchand-banquier florentin Giovambattista Botti et quelques lettres échangées pendant son séjour à Lyon avec ses frères et partenaires résidants à Florence, Cadix et à Venise. Ces documents étendent et approfondissent considérablement nos connaissances sur les opérations financières de la couronne, aussi bien que sur les mécanismes du capitalisme commercial toscan à cette époque. Angela Orlandi a su analyser cette documentation compliquée en y apportant une remarquable clarté, autant par ses tableaux que par son exposé sur les méthodes financières et comptables. Son argumentation est placé dans le vaste contexte de la bibliographie internationale sur le sujet. La primauté des financiers toscans, et surtout florentins, sur le marché financier français, est liée à leur rôle très fort dans le commerce, concentré aux foires de Lyon. L'auteur a pu déceler le système de souscription à la dette, par lequel les marchands-banquiers agissent aussi bien a titre personnel que comme agents d'une clientèle assez large et socialement diverse, dont ils sont les dépositaires et commanditaires. La comptabilité de Botti, couvrant les années 1556-64, permet de retracer l'activité à Lyon de 27 compagnies florentines ainsi que celle de 30 agents individuels de cette ville. La seule banque des Capponi et Rinuccini s'engageait pour un sixième de la dette totale en 1557. L'opération devint une débâcle pour les créanciers. Après un an, la couronne se trouvait à nouveau dans l'impossibilité de payer les intérêts convenus, mais elle exigeait en outre la souscription à un prêt supplémentaire de 2% du capital investi. Les créanciers ne voyaient pas d'autre possibilité pour sauver autant que possible leur capital. Ils répétaient même cette manœuvre en 1561, faute d'alternatives attractives, malgré la `banqueroute' de l'état. En 1563, le crédit du roi avait baissé jusqu'à 38% du montant contracté en 1556. Grâce à ses trouvailles et à son analyse méticuleuse, Angela Orlandi a su calculer les pertes subies par les marchands-banquiers florentins et leurs clients. Elle pose également la question intrigante pourquoi ces investisseurs si bien informés et si solidement implantés à Lyon se sont laissés prendre aussi gravement. Elle a su comparer les profits que réalisait Botti par ses activités commerciales, relativement modestes, certes. Les emprunts publics avaient offert des bénéfices plus sûrs et plus considérables, au moins jusqu'en 1555. En plus, les marchands toscans ont été convaincus par les garanties offertes par les autorités lyonnaises; face à l'échelle énorme des déficits royaux, elles s'avéraient nulles, mais personne ne semble avoir pu prévoir cela. Le sort de leurs confrères soutenant la maison de Habsbourg n'était d'ailleurs pas tellement plus joyeux, malgré l'emprise plus directe que ceux-ci avaient acquis sur les sources même des revenus de l'état. Angela Orlandi nous a fait voir aussi bien dans la comptabilité que dans les spéculations d'une famille de marchands-banquiers toscans, intimement liées par les aventures financières de la couronne française. Cette documentation d'un homme d'affaire de taille moyenne, si bien mise en évidence, est comme une pierre précieuse où se reflète la grande politique aussi bien que les calculs de l'investisseur modeste.
Le Grand Parti. Fiorentini a Lione e il debito pubblico francese nel XVI secolo / A. Orlandi. - STAMPA. - (2002), pp. 1-138.
Le Grand Parti. Fiorentini a Lione e il debito pubblico francese nel XVI secolo.
ORLANDI, ANGELA
2002
Abstract
Prefazione di Wim Blockmans (Université de Leyde): Les liaisons dangereuses entre la haute finance et le monde politique appartiennent aux thèmes les plus fascinants de l'histoire. Depuis le XIIIe siècle, les rois et princes occidentaux ont systématiquement fait appel aux emprunts pour raccommoder leurs budgets déficitaires. De préférence, ils s'adressaient à des marchands étrangers qui dépendaient de leur protection. Dans le cas de l'impossibilité de rembourser les sommes reçues, les souverains pouvaient toujours se débarrasser des étrangers et s'adresser à leurs concurrents. Les marchands florentins eurent cette expérience fâcheuse avec les rois Edouard Ier et II d'Angleterre: elle menait directement aux premières faillites en cascade des grandes compagnies entre 1302 et 1326. La conséquence n'était pas le refus des marchands de procurer encore des emprunts aux mauvais payeurs, mais la concentration de leurs capitaux en des organisations de plus en plus grandes. Les rois ne ressentaient pour ainsi dire pas de limites aux possibilités d'extension de leurs moyens financiers. De 1465 à 1559, la rivalité des maisons de Valois et de Bourgogne - Habsbourg a mené à une expansion quasi-permanente des budgets de leurs états. La croissance fulgurante des frais militaires en fut la cause principale. Les effectifs des armées doublaient ou triplaient, l'artillerie et la construction de forteresses entraînaient des dépenses incontrôlées. De plus en plus, le sort des peuples dépendait du crédit mobilisé par les dynasties. Charles Quint battait François Ier plus souvent sur ce front que sur les champs de bataille, commençant par les 850.000 florins du Rhin fournis pour son élection impériale par les Fugger, Welser, Spinola et autres grandes compagnies de marchands-banquiers. Toutefois, les antagonistes laissaient à leurs fils des états écrasés sous la dette publique. La présente étude nous offre des informations extrêmement intéressantes sur les méthodes appliquées par la couronne française pour reconvertir ses dettes à la fin de sa lutte séculaire contre les Habsbourg. En 1555, Henri II se trouvant dans l'impossibilité de payer les intérêts sur sa dette à court terme, fut contraint à un accord avec ses créanciers en leur offrant des créances à plus long terme. Cette opération n'était pas la toute première en son genre en Europe, mais elle eut un éclat formidable par l'importance de la dette consolidée ainsi. Elle est connue sous le nom du `Grand Parti' comme elle fut perçue à l'origine comme une change extraordinaire pour les investisseurs. Angela Orlandi a su trouver et exploiter à fond des sources d'archives d'une assez grande rareté, à savoir les grands livres du marchand-banquier florentin Giovambattista Botti et quelques lettres échangées pendant son séjour à Lyon avec ses frères et partenaires résidants à Florence, Cadix et à Venise. Ces documents étendent et approfondissent considérablement nos connaissances sur les opérations financières de la couronne, aussi bien que sur les mécanismes du capitalisme commercial toscan à cette époque. Angela Orlandi a su analyser cette documentation compliquée en y apportant une remarquable clarté, autant par ses tableaux que par son exposé sur les méthodes financières et comptables. Son argumentation est placé dans le vaste contexte de la bibliographie internationale sur le sujet. La primauté des financiers toscans, et surtout florentins, sur le marché financier français, est liée à leur rôle très fort dans le commerce, concentré aux foires de Lyon. L'auteur a pu déceler le système de souscription à la dette, par lequel les marchands-banquiers agissent aussi bien a titre personnel que comme agents d'une clientèle assez large et socialement diverse, dont ils sont les dépositaires et commanditaires. La comptabilité de Botti, couvrant les années 1556-64, permet de retracer l'activité à Lyon de 27 compagnies florentines ainsi que celle de 30 agents individuels de cette ville. La seule banque des Capponi et Rinuccini s'engageait pour un sixième de la dette totale en 1557. L'opération devint une débâcle pour les créanciers. Après un an, la couronne se trouvait à nouveau dans l'impossibilité de payer les intérêts convenus, mais elle exigeait en outre la souscription à un prêt supplémentaire de 2% du capital investi. Les créanciers ne voyaient pas d'autre possibilité pour sauver autant que possible leur capital. Ils répétaient même cette manœuvre en 1561, faute d'alternatives attractives, malgré la `banqueroute' de l'état. En 1563, le crédit du roi avait baissé jusqu'à 38% du montant contracté en 1556. Grâce à ses trouvailles et à son analyse méticuleuse, Angela Orlandi a su calculer les pertes subies par les marchands-banquiers florentins et leurs clients. Elle pose également la question intrigante pourquoi ces investisseurs si bien informés et si solidement implantés à Lyon se sont laissés prendre aussi gravement. Elle a su comparer les profits que réalisait Botti par ses activités commerciales, relativement modestes, certes. Les emprunts publics avaient offert des bénéfices plus sûrs et plus considérables, au moins jusqu'en 1555. En plus, les marchands toscans ont été convaincus par les garanties offertes par les autorités lyonnaises; face à l'échelle énorme des déficits royaux, elles s'avéraient nulles, mais personne ne semble avoir pu prévoir cela. Le sort de leurs confrères soutenant la maison de Habsbourg n'était d'ailleurs pas tellement plus joyeux, malgré l'emprise plus directe que ceux-ci avaient acquis sur les sources même des revenus de l'état. Angela Orlandi nous a fait voir aussi bien dans la comptabilité que dans les spéculations d'une famille de marchands-banquiers toscans, intimement liées par les aventures financières de la couronne française. Cette documentation d'un homme d'affaire de taille moyenne, si bien mise en évidence, est comme une pierre précieuse où se reflète la grande politique aussi bien que les calculs de l'investisseur modeste.File | Dimensione | Formato | |
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